Gilets jaunes : quelles solutions juridiques pour les entreprises touchées par les blocages ?
Le mouvement des gilets jaunes impacte depuis plus de deux semaines la vie des entreprises françaises : salariés absents, difficultés d’approvisionnement, pénuries de matières premières et de carburant, et parfois même blocage de l’entreprise directement visée par le mouvement.
Au-delà des conséquences économiques, se pose la question de la gestion de l’impact social au sein de l’entreprise
Gérer l’absence des salariés
L’employeur est-il contraint de rémunérer les salariés absents invoquant une impossibilité de se rendre sur leur lieu de travail ?
Non. Il n’existe aucune obligation pour l’employeur de maintenir le salaire d’un salarié absent en raison de l’impact engendré par le mouvement des gilets jaunes sur le trajet domicile / lieu de travail.
Dans cette hypothèse, il conviendra néanmoins de privilégier des solutions alternatives telles que la prise de congés payés, ou l’aménagement des horaires selon organisation en place au sein de l’entreprise.
La participation au mouvement des gilets jaunes peut-elle être invoquée dans le cadre du droit de grève ?
Non. Un mouvement collectif ne peut être qualifié de grève qu’à la condition d’être motivée par des revendications professionnelles préalablement communiquées à l’employeur.
La participation à un mouvement politique national ne constitue donc pas une expression du droit de grève.
Les salariés participant au mouvement des gilets jaunes devront donc être traités en absence injustifiée non rémunérée, sauf justificatif légitime d’absence.
Gérer la baisse d’activité et la fermeture de l’entreprise
Une entreprise dont l’activité est perturbée par le mouvement des gilets jaunes peut-elle demander aux salariés de récupérer les heures perdues ?
Il convient de distinguer deux situations :
- la récupération individuelle d’heures perdues par suite de retard ou d’absence du salarié du fait du mouvement des gilets jaunes : cette modalité ne constitue qu’une simple faculté supposant l’accord des parties ;
- les heures collectivement perdues à la suite d’une interruption collective de travail provoquée par un fait extérieure et imprévisible rendant impossible la poursuite de l’activité, puis récupérées selon des modalités préalablement définies au sein de l’entreprise.
Ce dispositif de « récupération des heures perdues » pourra effectivement être invoqué dans le cadre du mouvement des gilets jaunes dès lors que l’entreprise justifie d’un réel impact sur son outil de production rendant impossible la poursuite de son activité (par exemple : coupure d’électricité, épuisement des matières premières).
Il ne constitue qu’une simple faculté pour l’employeur. Les salariés ne peuvent donc exiger de l’entreprise la mise en place de ce dispositif. A contrario, le recours régulier à la récupération des heures perdues s’impose aux salariés.
A défaut de dispositions conventionnelle applicables, les heures peuvent être récupérées dans les 12 mois suivant leur perte, sans pouvoir augmenter la durée du travail de l’établissement de plus d’1 heure par jour ni de plus de 8 heures par semaine.
Les heures de récupération seront payées au taux normal, sans majoration, sauf disposition conventionnelle plus favorable.
En pratique, la mise en œuvre du dispositif de récupération des heures perdues supposera :
- une consultation des représentants du personnel sur la décision de fermeture de l’entreprise ou du service, ainsi que sur les modalités de récupération ;
- une information préalable de l’inspecteur du travail portant sur les mêmes sujets (voir même son accord préalable dans certaines branches professionnelles).
A noter que l’entreprise ayant recours au dispositif de récupération des heures perdues ne pourra pas procéder à un licenciement pour motif économique liée à une insuffisance d’activité au sein du service ou de l’établissement concerné par la mesure, dans le délai d’un mois suivant la période de récupération.
Le recours à l’activité partielle est-il possible ?
Oui. Les entreprises justifiant de circonstances exceptionnelles les conduisant à réduire ou à suspendre leur activité peuvent mobiliser le dispositif de l’activité partielle.
Il s’agit notamment des entreprises confrontées à des difficultés d’approvisionnement, des problèmes de livraison, des difficultés d’accès à l’entreprise pour des clients ou encore d’accès aux chantiers des salariés.
Le salarié placé en activité partielle reçoit une indemnité horaire, versée par son employeur à l’échéance habituelle de la paie, correspondant à 70 % de sa rémunération brute horaire.
L’employeur obtient ensuite mensuellement une indemnisation au titre de l’allocation d’activité partielle à hauteur de 7,74 euros par heures chômée dans les entreprises employant jusqu’à 250 salariés et 7,23 euros dans les entreprises à partir de 251 salariés (dans la limite de 1000 heures par an et par salarié).
Sur le plan pratique, l’employeur doit accomplir deux démarches préalables avant la mise en place de l’activité partielle :
- une consultation des représentants du personnel concernant les motifs de recours l’activité partielle, les catégories professionnelles et les activités concernées, le niveau et les critères de mise en œuvre des réductions d’horaire, les actions de formation envisagées ou tout autre engagement pris par l’employeur ;
Les entreprises sans représentants du personnel doivent informer directement leurs salariés du projet de mise en activité partielle de leur établissement.
- une demande préalable d’autorisation d’activité partielle auprès de la DIRECCTE reprenant notamment les motifs justifiant le recours à l’activité partielle, la période prévisible de sous-activité et le nombre de salariés concernés.
Cette démarche est réalisée par voie dématérialisée sur le site https://activitepartielle.emploi.gouv.fr/apart/index.php/login.
La décision de la DIRECCTE est notifiée à l’employeur dans un délai de 15 jours, étant précisé que l’absence de réponse vaut acception.
Compte tenu des situations d’urgence provoquées par le mouvement des gilets jaunes, les DIRECCTE ont mis en place des équipes dédiés visant à assurer un traitement accéléré des demandes d’activité partielle (Hérault : oc-ud34@direccte.gouv.fr ; Gard : oc-ud30@direccte.gouv.fr ; Vaucluse : paca.continuite-eco@direccte.gouv.fr).
Attention : la demande d’autorisation doit en principe être déposée préalablement à la mise en œuvre de l’activité partielle. Certaines DIRECCTE acceptent néanmoins de prendre en charge à titre exceptionnel les demandes déposées à posteriori dans les limites d’un mois après la période demandée.
Faire face aux difficultés de trésorerie
Est-il possible de différer le paiement des charges sociales ?
Oui, mais sous réserve d’obtenir un accord de l’URSSAF.
La dégradation de la situation économique de l’entreprise peut conduire à des difficultés pour assurer le paiement de leurs prochaines échéances de cotisations.
Les URSSAF ont communiqué en ce sens afin d’inviter les cotisants à se manifester volontairement pour bénéficier d’un accompagnement, et notamment de la mise en place d’un échéancier de paiement.
L’impact économique engendré par le mouvement des gilets jaunes peut-il justifier la mise en œuvre immédiate d’un licenciement pour motif économique ?
Non. La mise en œuvre d’un licenciement pour motif économique nécessite pour l’entreprise de pouvoir justifier de difficultés économiques réelles et sérieuses.
Selon le Code du travail, il y a difficulté économique lorsque l’entreprise connaît une évolution significative d’au moins un indicateur économique tel que :
- une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires,
- des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation,
- ou tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée lorsque, en comparaison avec la même période de l’année précédente, la baisse atteint une durée qui varie en fonction de la taille de l’entreprise, dans les conditions suivantes :
– 1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés,
– 2 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins 50 salariés,
– 3 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés,
– 4 trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus
Sous réserve d’une situation particulière et/ou de difficultés antérieures de l’entreprise, il serait donc prématuré d’engager immédiatement une mesure de licenciement pour motif économique sur le seul fondement de l’impact du mouvement des gilets jaunes.
Cependant, les conséquences économiques du mouvement pourront à moyen terme justifier une réduction d’effectifs si la conjoncture économique ne permet pas aux entreprises concernées de redresser leurs situations financières.
Source : Cabinet PVB Avocats.